Ces lieux ordinaires sont des quán-nước-chè, faute de mieux, on les traduit habituellement par “échoppe de thé”. Contre un mur, derrière un arbre, au milieu d’une clairière, ils apparaissent soudainement comme des champignons sauvages dont l’existence est brève et imprévisible. Une fois sortis de terre, ils offrent une halte à quiconque prend le temps d’occuper l’un de ces petits tabourets.

Fondamentalement, c’est de l’appropriation d’espace public. (En effet, les autorités ont maintes fois entrepris d’éradiquer ce genre de mauvaise herbe). Mais ou se situe la ligne qui délimite la sphère publique de la sphère privée ? Quand est-elle transgressée ? Lors d’une infraction, d’un changement de perception, d’une nouvelle législation ? Dans cette ville où les intérêts privés dégoulinent sur les trottoirs, ces quán-nước ne sont rien de plus que l’essence même de l’âme de la ville qu’habitent les Hanoïens –bien loin d’eux l’idée d’une transgression.

Les Vietnamiens affirment que les origines des quán-nước-chè remonteraient au temps où l’agriculture dominait les activités économiques. Un quán-nước d’alors se serait logé sous un arbre entre deux rizières. L’étal aurait été fait de bois ou de bambou. Les pauses thé avaient lieu tandis que les gens socialisaient et se tenaient au courant des dernières nouvelles.

Les temps ont changé. Les rues s’engorgent de voitures. Les immeubles majorent leur nombre d’étages à chaque occasion. Les cafés et salons de thé climatisés pullulent. Pourtant, la gentrification n’a pas encore réussi à balayer les quán-nước. Ils continuent à se nicher entre les bâtiments, les centres commerciaux et en marge des grandes rues. Le plastique a inévitablement remplacé le bambou et le bois, mais les quán-nước conservent leur statut de lieu de rencontre, s’y rendre continue d’être la promesse d’un moment convivial.


Une tasse de thé reste une boisson peu chère et populaire. Elle est servie avec autant d’hospitalité aux mains rêches d’un ouvrier qu’aux douces paumes d’un greffier. Et un lycéen aux doigts immaculés serait reçu d’une bien même manière. Le tout dans un même quán. Les inconnus deviennent amis. Des acolytes, par millier. Tous égaux sur de petits tabourets en plastique. En attendant le thé, une pipe passe de main en main alors que les plaisanteries fusent au milieu des volutes de fumée.





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